Approche holistique de la santé et sophrologie
Il existe peut-être autant de pratiques psychothérapeutiques qu’il existe de psychothérapeutes, de personnes demandeuses, et de relations entre les deux – l’ « alliance thérapeutique ». Psychothérapie renvoie au soin apporté à l’esprit, au psychisme en vue d’un changement, qui peut être mais n’est pas nécessairement une « guérison ». La notion même de « guérison » est variable et parfois l’affaire de perception : d’aucuns peuvent se considérer guéris, alors que les autres considéreront « en voie de guérison », « en rémission », « guéris ». Souvent l’observation objective des symptômes permet de déterminer si la thérapie – quelle qu’elle soit – doit se terminer, quand bien même certaines personnes se perçoivent comme toujours « malades ».
Peut-être est-ce parce qu’ « être malade » ou être « en santé » renvoient à un ressenti de la condition générale d’une personne. Encore faut-il qu’elle soit consciente de cet aspect multidimensionnel de la santé. L’approche holistique (du grec ancien « holos » signifiant « tout », « totalité ») de la santé et du bien-être n’est pas nouvelle – les médecines dites « traditionnelles », « orientales » ou « alternatives » en sont la transcription occidentales alors mêmes qu’elles sont pratiquées depuis des millénaires en d’autres parties du monde. Ces pratiques thérapeutiques considèrent que la santé repose sur une triade : le corps, l’esprit/le mental, les émotions, et ces composantes s’influencent les unes les autres.
Le développement des neurosciences, lié à l’apparition d’outils de mesures de plus en plus précis, valident depuis une vingtaine d’années ce que j’appelle « l’intuition orientale »[1]. La pratique et l’attraction persistante vis-à-vis du yoga, de la méditation et de la nutrition ayurvédique – pour ne citer que trois exemples – semblent confirmer de manière « non-scientifique » la pertinence de cette intuition orientale depuis une quarantaine d’années (les premières thérapies cognitivo-comportementale incluant la méditation de pleine conscience date des années 1980).
La naissance de la sophrologie s’inscrit dans ce mouvement puisque c’est un docteur en médecine et psychiatre formé selon la méthode scientifique occidentale (le docteur Alfonso Caycedo) qui a cherché à inclure des éléments tirés des différentes écoles de méditation, du yoga, de l’hypnose dans des protocoles de suivi psychiatriques.
La place de la sophrologie dans ma pratique thérapeutique
La place de la sophrologie – et de nombreux autres outils dits « alternatifs » – dans les protocoles thérapeutiques (psychothérapeutiques ou non) semble toujours à faire[2]. J’ai notamment pu m’en rendre compte lorsque j’ai pris rendez-vous avec une association impliquée dans l’accompagnement oncologique : certains docteurs étaient pour l’inclusion d’outils non-médicaux, d’autres les considéraient comme dangereux, une troisième catégorie n’avait officiellement pas d’opinion – jusqu’à ce qu’elle en constate par elle-même les effets sur les personnes traitées.
J’ai néanmoins choisi de l’inclure dans mon approche dès le début car j’avais ressenti tout au long de ma propre psychothérapie qu’il « manquait quelque chose ». Cette chose, ai-je réalisé quelques années plus tard, c’est le lien au souffle et au corps, et l’inclusion des trois dimensions dans l’accompagnement du changement thérapeutique. Ma psychothérapie avait été excellente pour donner une cohérence à mon mental, à accepter des contradictions et émotions, à résoudre des situations de tensions intenses, mais il manquait l’ancrage dans le corps physique – dans la réalité[3].
Une autre raison est que c’est un outil qui m’avait semblé sous-estimé, et probablement un des plus « acceptables » des outils « alternatifs » par celles et ceux qui n’en avaient jamais entendu parler – ou bien n’en avaient entendu parler qu’en des termes dépréciatifs.
Je ne considère pas la sophrologie comme une fin en soi – bien qu’elle puisse l’être – mais comme un outil dans la panoplie du thérapeute. Et c’est dans cette optique que je m’en sers dans les accompagnements que je propose depuis 6 mois.
Réception de l’outil
Je suis établi depuis septembre 2021 dans un milieu rural en France (qualifié par les professionnels de santé de « désert médical »). Je travaille dans une maison de santé pluridisciplinaire et me rends à domicile à la demande. Je propose également des consultations à distance, mais je n’ai pas eu de demande à ce jour. En plus de cette pratique variée, je discute et collabore avec des praticiens médicaux et paramédicaux, ce qui me permet d’échanger tant avec les clientes et clients qu’avec les professionnels sur les pratiques thérapeutiques « alternatives ».
D’une manière générale, une vaste majorité ignore ce qu’est la sophrologie. Parfois on en a entendu parler car on connaît une personne qui « en a fait ». Parfois, la sophrologie, comme l’hypnose, les traitements énergétiques, « ne devraient pas être proposés », car « c’est dangereux, et ceux qui la proposent sont des charlatans,». Souvent la sophrologie est synonyme de relaxation. Et c’est tout.
Cette perception de la discipline renvoie, à mon avis, à d’autres schémas cognitifs sans parler des représentations personnelles du monde et des croyances de chacune et chacun.
Aussi, la plupart du temps j’aborde le sujet de la sophrologie :
- Lorsqu’on m’interroge, généralement après que ma carte de visite a été lue recto-verso ;
- Au cours d’un protocole d’accompagnement, et rarement lors du premier rendez-vous.
D’une manière générale, les personnes qui viennent me voir semblent me déléguer leurs problématiques et paraissent me faire confiance dans les outils que je leur transmettrai au cours de la psychothérapie : des clientes et clients qui avaient entendu parler de la sophrologie, seule une réagissait à mes propos car elle avait « lu », mais n’avait jamais vécu une séance.
Cette attitude m’a encouragé à faire preuve de discernement, d’esprit critique et de discrimination entre les outils de la panoplie sophrologique : je n’allais pas systématiquement déballer toute la boîte à outils sous prétexte que la sophrologie résoudrait tout. Au contraire, il m’a fallu choisir lesquels utiliser et en synchroniser le déploiement selon le rythme de progression du client ou de la cliente.
J’ai observé deux phénomènes particulièrement flagrants :
- Les individus qui viennent me voir découvrent qu’ils ou elles respirent, et leur respiration est parcellaire.
- Les visualisations et techniques transmises permettent une autonomisation des personnes, pourvu que l’impulsion de s’autonomiser existe quel que soit l’état de la personne.
- La respiration
Le sujet de la respiration m’a surpris car je m’attendais à ce que le milieu rural conduisait à une plus grande prise en compte du corps et à une respiration plus fluide car plus spontanée, due aux efforts physiques induits par un mode de vie plus proche de la nature, et à un rythme social et professionnel moins effréné que dans un milieu urbain où une vie de bureau statique prédomine.
De fait, dès les premiers mouvements de respiration et les premiers exercices sur le souffle, les individus se découvrent, semblent réaliser qu’il y a « autre chose », plus « profond » dans leurs corps. Lorsqu’une inspiration passe de 4-5 secondes à plus de 10, le rythme du corps change, et lorsqu’une personne fait l’expérience du cycle complet d’une respiration, qui peut prendre 15 secondes, ce rythme change en profondeur.
Ce changement peut s’avérer physiquement douloureux (puisque le diaphragme est sollicité différemment ; les muscles, tendons soutenant les organes internes peuvent s’étirer de manière inhabituelle et plus intensément, etc.), en plus d’être vertigineux au sens propre comme au sens figuré. Au sens propre : l’approfondissement des mouvements respiratoires permet une présence accrue d’oxygène dans le sang (le phénomène de « l’air des cimes qui fait planer ») ; au sens figuré : les pratiquants découvrent qu’ils ou elles « s’ignorent », que leurs corps et leurs rythmes leur sont comme étrangers, qu’une porte s’ouvre, et cette réalisation (peut-être pas encore une prise de conscience) peut inquiéter – devant « l’ampleur de la tâche », devant des douleurs inconnues, face à la perception de temps « gâché » ou « perdu ».
C’est là que la présence du thérapeute et du sophrologue est indispensable car elle rassure, guide, soutient, voire explique.
- La réceptivité aux visualisations
Je me repose essentiellement – mais pas uniquement – sur le retour des clients et clientes pour évaluer l’effet d’une visualisation. Pour que celle-ci soit la plus parlante, j’apporte un soin particulier la toute première consultation – l’ « anamnèse » – au cours de laquelle je recueille les ressources de la personne que je pourrais mobiliser par la suite pour augmenter l’efficacité des outils transmis.
Je rédige la visualisation selon un vocabulaire qui sera accessible à la personne lorsqu’elle sera en état modifié de conscience. Je m’imprègne du rythme et du ton auxquels je déploierai l’outil et la visualisation qui le soutiendra.
Il est possible qu’une personne soit plus sensible à certains outils et certaines visualisations que d’autres : il nous est alors nécessaire de travailler cet outil ou cette visualisation jusqu’au moment où la personne se dise capable de les pratiquer seule.
Il me semble que l’efficacité de ces visualisations ne peut s’apprécier qu’à terme, mais quelques points me semblent évidents désormais :
- Plus une personne pratique, plus son cerveau et les connections neuronales qui s’y trouvent se familiarisent avec les nouvelles stimulations induites par les visualisations ;
- Plus la personne est volontaire et animée par la volonté de prendre sa santé et son changement en main, plus l’impact de la pratique est important ;
- Une préparation préalable du corps (les « inductions physiques ») et des exercices de respirations (« relaxation dynamique ») renforcent la réceptivité par le cerveau des suggestions et visualisations proposées par le thérapeute.
- La sophrologie comme élément d’autonomisation
Une cliente qui avait développé une dépendance jugée « sévère » par son médecin traitant à un opioïde (la morphine, sous forme de bâtonnet) m’a annoncé deux mois et demi après le début de son accompagnement qu’elle n’y avait plus eu recours depuis une dizaine de jours. Cette personne mettait ce regain d’autonomie sur la (ré)appropriation de sa respiration, qui avait induit un changement de rythme et de métabolisme, et, dans une moindre mesure, aux visualisations qu’elle travaillait.
Cette cliente – aux problématiques complexes – avait entrepris un changement en profondeur qui impliquait une dimension nutritionnelle, psychologique, kinésithérapique, en plus de ses traitements médicaux.
Il me semble que c’est à cette approche globale et à cette prise de conscience de faire des petits pas dans plusieurs directions qu’il faut créditer l’abandon des bâtonnets de morphine. La sophrologie joue là son rôle d’outil multiplicateur ou consolidateur du thérapeute.
Matthieu Viteau, sophrologue
[1] Par commodité de langage : cette approche holistique est également pratiquée par des médecines chamaniques, qu’elles soient localisées en Asie ou non.
[2] Quand bien même le Centre Hospitalier Universitaire de Lille en France a réalisé en 2018 sous hypnose et sans anesthésie une opération du cœur sur un patient de 88 ans. https://www.reseau-chu.org/article/un-homme-de-88-ans-opere-du-coeur-sous-hypnose-une-1ere-a-lille/ et que le CHU
[3] Res, en latin, signifie les choses physiques, tangibles (littéralement « que l’on peut toucher »)